L'art brut

Les laboratoires d’ART BRUT

Par René Gallas

L’homme qui se frappe est une brute  dit-on. Moi, c’est l’ART BRUT  qui m’a frappé tout au long de ma carrière hospitalière ! Les hospices (on ne disait pas encore maison de retraite) sont des laboratoires d’art brut, appellation contrôlée. Ils étaient peuplés, en 1953, de psychopathes non dangereux, venant de l’hôpital psychiatrique voisin de l’établissement que je dirigeais (L’hôpital psychiatrique de Saint-Etienne du Rouvray)

Dans mon premier poste, à Sotteville-les-Rouen, (un hospice civil) j’ai tout de suite été séduit par ces artistes. Le plus célèbre, FLORENT, le plus prolifique aussi, était de plus un persécuté : «  les  Anglais veulent  me voler mes brevets ! » disait-il. Avant de partir mourir à l’hôpital, il m’a légué un rouleau de ses œuvres, en me disant : « si je claque, vous finirez la carte ! »  Je suis donc bien le légataire de ces œuvres.

Une grande partie est au Musée de l’Art Brut à Lausanne. Un seul tableau de FLORENT est resté en France. « Le bungalow agraire dans le polygone anti atomique au presbytère » est à  Villeneuve D’Ascq (Nord) qui l’a acquis il y a une dizaine d’année.

Il y avait aussi un pharmacien, dont les  cahiers de pensées profondes sont à LAUSANNE. Exemple : « on dit que l’homme descend du singe, autant cette filiation qu’une autre, mais alors pourquoi y a-t-il encore des singes ? » Ce n’est pas lui qui avait inventé « la liqueur de caillou » mais bel et bien  FLORENT : « c’est une substance « anériforme ». Tout ce qui nous entoure est  de la Silice. Nous sommes imbibés de liqueur du caillou… » disait-il. « L’analyse de cette liqueur montre qu’elle recèle tous les oxydes ionisés, elle peut donc transmuter à volonté. J’y suis d’ailleurs arrivé moi-même, étant alchimiste bénévole ! » 

À Sotteville-les-Rouen, FLORENT avait un grand ami : le capitaine de vaisseau Olivier LE BRUMENT. Un homme fier de sa vie : «  j’ai doublé le Cap Horn à la voile ! » disait-il si on voulait l’aider à monter quelque part. Ses œuvres étaient plus académiques, mais néanmoins classées Art brut.  FLORENT  l’emmenait en  promenade : « il y avait de ces sous- bois !!! »  Il venait lui aussi, de l’hôpital  psychiatrique, devenu malade à la suite de la nomination à sa place d’un autre comme capitaine d’un grand navire.  C’était un bourgeois, il jouait du piano dans la salle des fêtes de la ville, et dessinait  beaucoup. Ses dessins (il en inondait tout le monde) Les titres sont écrits à la ronde. J’en possède trois.

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Un dessin du « Capitaine »

Je n’ai pas trouvé une mine d’art brut dans mon poste suivant à Salins-les-Bains, dans le Jura (1960-1965).

Du Jura je passe à l’hôpital de Domfront dans l’Orne. Un des plus célèbre artiste brut est le fameux MARCEL DROUIN, surnommé ZIZI à cause de sa façon de prononcer « OUI OUI ». La totalité de ses dessins en couleur pourrait occuper toute une salle de musée.

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Un dessin de ZIZI

Il dessinait exclusivement des cathédrales, sur des cartons que je lui fournissais. Ces œuvres sont très colorées. Au moins un dessin se trouve dans la collection de l’Aracine (collection 1983), qui est maintenant au Musée de  Villeneuve D’Ascq.  J’en possède une belle série de six.

Durant cette période, j’ai organisé une exposition d’art brut à l’Armitière, à Rouen. C’est à cette occasion que j’ai acheté le tableau de B. CARDONNA. Cet homme était cordonnier à Rouen et faisait des tableaux avec du cirage… « S’il t’arrive de te regarder dans une glace, essaye de t’y reconnaître… » (titre du tableau). Période Domfront : 1965-1968.

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Œuvre de B. Cardonna

Rien à signaler pendant la période 1968-1974… Sauf que les œuvres de Florent et de Marcel Drouin (ZIZI) ont été exposées au Musée municipal de Boulogne-sur-Mer dans le cadre d’une exposition sur l’art brut.

À Fleury-les-Aubrais dans le Loiret, « CHS » comme le signale hypocritement la pancarte qui ne dit pas la spécialité psychiatrique de l’établissement, je trouve le célèbre André ROBILLARD. Je lui signale que je connais son fusil exposé à LAUSANNE. Je crois ainsi l’avoir relancé dans sa production qui n’a pas cessé d’augmenter  (un de ces célèbres fusils à rejoint « LA FABULOSERIE » à DICY dans l’Yonne). Il a ensuite diversifié son inspiration. Après les armes diverses, fusées,  avions de combat, char, etc., il a été inspiré par des dessins astronomiques, exemple : « La planète Sature (sic) à 6000 milliards de km de la terre » que je possède.

Andre robillard

La planète Sature, André Robillard

De moins grande envergure, mais d’un talent  remarqué par tous, François SERMET, auteur de petites maisons, ainsi que d’un autoportrait, ressemblant, mais BRUT à souhait. Je possède six petites maisons.

Francois sermet

François Sermet dans l’atelier en train de faire une « petite maison ».

Le tout produit dans un atelier d’ergothérapie sous la direction de Yaël  BEAUGENDRE, artiste elle-même. Je possède d’elle, une très belle tête torturée, produite à la fin d’une séance  de biothérapie. Provenant de l’atelier d’ergothérapie, deux masques d’autres artistes bruts. J’ai été en poste à Fleury-Les Aubrais de 1968 jusqu’à ma retraite en 1985. Toutes les œuvres de Robillard et des autres datent de ces années.

Maison francois sermet

Une petite maison de François Sermet

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Masque autoportrait de François Sermet

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Tête torturée signée Yael

Cette sculpture, a été créée dans la fin des années 1970 par Yael Beaugendre, infirmière psychiatrique et ergothérapeute au Centre hospitalier Spécialisé de Fleury les Aubrais (Loiret) à la suite d’une séance de biothérapie.

Cette figure représente les tourments psychiatriques. Surmontée d’une pieuvre dont les tentacules enserrent le cou, cette face est assez effrayante et reflète une grande souffrance.

Terre cuite émaillée sur socle de bois. Hauteur totale : 35 cm. Sur le socle, la signature est notée en blanc : « YAEL ».

Yael Beaugendre a beaucoup travaillé autour de l’Art Brut, notamment avec François Sermet mais aussi d’autres...

 

René Louis GALLAS,  Directeur Honoraire des Hôpitaux